Le monde découvre, ébahi, une Notre-Dame de Paris inondée d’une clarté céleste. Il n’en a pas toujours été ainsi. À travers les siècles, la cathédrale a oscillé entre ombre et lumière. Récit d’une histoire mouvementée et méconnue, avec l’historien Mathieu Lours, spécialiste du patrimoine religieux, et auteur du livre officiel de la restauration Rebâtir Notre-Dame de Paris (éd. Tallandier).

Le Point : Notre-Dame de Paris a-t-elle toujours été lumineuse ?

Mathieu Lours : Pour son temps, quand elle a été édifiée, en 1163, Notre-Dame de Paris est une cathédrale plutôt lumineuse. Mais, au début du XIII^e siècle, elle l’est moins que les autres édifices qui se bâtissent alors, comme Chartres et Bourges. Avec l’art gothique rayonnant, les murs disparaissent complètement pour donner un « effet cage de verre », sur le modèle de la Sainte-Chapelle. Vers 1250, les chanoines de Notre-Dame démolissent donc les murs nord et sud du transept, dans la continuité de l’élargissement de la nef, où on bâtit des chapelles latérales. Ils les reconstruisent quatre mètres plus au nord et au sud, en les perçant de baies garnies de vitraux et surtout de deux grandes rosaces de 13,5 m de diamètre, de part et d’autre. Le but est de faire mieux que la basilique Saint-Denis, dont les deux roses mesurent alors 11,5 m de diamètre alors qu’elles ont à peine 15 ans de plus.

La basilique Saint-Denis est plus lumineuse que Notre-Dame ?

Entre 1135 et 1144, la première phase de travaux sur le monument de l’abbé Suger est concentrée sur la façade et le déambulatoire. Saint-Denis est alors un des trois premiers édifices gothiques au monde. Mais il reste la nef et le transfert de l’église carolingienne. Vers 1230-1260, on reconstruit le restant de la basilique, la nef, le transept, la partie haute du chœur. Le roi Saint-Louis accompagne cette reconstruction pour accorder davantage de place à la nécropole royale. Saint-Denis et la Sainte-Chapelle seront les premiers édifices du gothique rayonnant. L’évêque de Paris ne peut pas rester indifférent à cette modernité. Notre-Dame, sa cathédrale, devient démodée. Il fait donc agrandir les fenêtres puis dans un second temps, reconstruire les murs extérieurs en les ouvrant avec les deux roses.

Sur ce plan de la lumière, quelle est l’action d’Eugène Viollet-le-Duc, le grand restaurateur de Notre-Dame au XIX^e siècle ?

C’est une action paradoxale. Viollet-le-Duc remet le transept, la première travée de la nef et du chœur dans leur état d’avant 1230. Il réduit la taille des fenêtres, et restitue les vitraux de couleurs à la place des vitraux blancs installés au XVIII^e siècle. Il obscurcit donc la partie centrale. Viollet-le-Duc a voulu lui rendre la supposée pénombre médiévale des parties hautes. Quand il achève ses travaux en 1864, la cathédrale est propre et lumière et ombre s’équilibrent bien. Mais les murs n’avaient plus été nettoyés depuis cette époque et s’étaient encrassés. Elle ne paraissait donc plus du tout lumineuse.

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Diriez-vous qu’aujourd’hui Notre-Dame de Paris n’a jamais été aussi claire ?

L’apogée de la clarté dans Notre-Dame, c’est le XVIII^e siècle, lorsqu’en 1740, les chanoines démontent les vitraux de couleur et enduisent les murs en blanc. Mais leur action trahit l’esprit médiéval, qui s’efforce de trouver un équilibre entre ombre et lumière. La restauration de Viollet-le-Duc a installé des vitraux néogothiques, de couleurs, dans les parties hautes et des grisailles dans les parties basses. Depuis un an, puisque la nef apparaît dans l’état dans lequel l’a découvert le grand public depuis quelques jours, la clarté est revenue à Notre-Dame.