Dans l’obscurité du fond de la salle de la Maison de la Mutualité, à Paris, un officier de sécurité interpelle un homme. « Monsieur, si vous n’avez pas de badge, vous devez sortir », lui intime-t-il. « Mais je conseille le président ! » répond, amusé, Jonathan Guémas, conseiller spécial et ex-plume d’Emmanuel Macron. Rien n’y fait. L’officier ne le croit pas et insiste : prière d’aller récupérer un badge à l’étage.

Bientôt 19 heures et le deuxième meeting de Valérie Hayer, tête de liste de la majorité présidentielle aux élections européennes, s’apprête à commencer. Guémas, qui travaille pour le président de la République depuis 2018, manque de rater l’introduction, animée par la députée Renaissance Maud Bregeon. Prenant à témoin une poignée de journalistes, il doit sortir son téléphone et montrer à l’intransigeant officier une photo sur laquelle il pose avec le chef de l’État. Comme un symbole de cette campagne, percluse de mini-couacs…

Tout est encore possible

« On n’entend rien », bougonne une militante lorsque Maud Bregeon prend la parole avec un micro défectueux. D’autres sympathisants s’en plaindront lors du discours de clôture de la tête de liste de Besoin d’Europe, Valérie Hayer. La veille, déjà, lors de la présentation du programme au QG de campagne, l’eurodéputée, présidente du groupe Renew, avait eu un problème de micro. Puis, en répondant à une question, elle s’était pris la tête, au sens propre, avec l’ex-ministre Clément Beaune – en se baissant pour récupérer un crayon. Avec les piliers du gouvernement et ses colistiers réunis dans cette salle du 5^e arrondissement parisien, Valérie Hayer a donc tenté, mardi 7 mai – date symbolique du 7^e anniversaire de l’élection d’Emmanuel Macron en 2017 –, de (re)lancer une campagne qui s’enlise. Pour la première fois, dans le rolling du Figaro du 6 mai, elle est créditée de la moitié du score de Jordan Bardella (16 % contre 32 % pour la tête de liste du RN).

Toutes les figures de la majorité se sont donc échinées à marteler un message : la campagne n’a pas tout à fait commencé et tout est encore possible. « Nous y sommes, à ce moment où tout se lance, où tout s’accélère, où tout va chaque jour un peu plus vite […]. Nous y sommes, mais je veux vous le dire comme je le pense : ce n’est que le début. Car il nous reste quatre semaines pour faire gagner la France et l’Europe dans cette campagne », a ainsi assuré le Premier ministre, Gabriel Attal, estimant que la campagne est à un « tournant ». « La fin de l’Europe, c’est un danger mortel pour la France », a-t-il par ailleurs ajouté, reprenant les mots que le président de la République avait employés lors de son Discours sur l’Europe à la Sorbonne, le 25 avril.

Il était plus que jamais nécessaire d’exalter l’esprit de conquête alors qu’une partie d’entre nous a déjà cédé, depuis un moment, à l’esprit de défaite.Un cadre du groupe Renaissance à l’Assemblée

« Je suis convaincue que l’on fera un bon score », avait déclaré plus tôt dans la soirée la tête de liste en 2019 Nathalie Loiseau, timidement applaudie – il y a cinq ans, elle avait recueilli 22,4 % des suffrages, talonnant Bardella (23,3 %). Dans cette même salle où Emmanuel Macron avait organisé l’un des premiers meetings d’En marche ! en juillet 2016, Valérie Hayer a promis de ne « rien céder ». « À vos côtés, je veux lancer l’appel à la mobilisation générale ! Il nous reste un mois. Un mois d’ici au 9 juin. Un mois pour faire souffler l’esprit de conquête sur l’Europe. Un mois pour convaincre chacun, chacune, que, oui, nous avons besoin d’Europe », a-t-elle lancé à quelque 2 000 militants enthousiastes, chauffés par les chants des Jeunes avec Macron (JAM). « Il était plus que jamais nécessaire d’exalter l’esprit de conquête alors qu’une partie d’entre nous a déjà cédé, depuis un moment, à l’esprit de défaite », salue un cadre du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale.

C’est d’ailleurs la consigne qui a été donnée aux responsables de la majorité au cours de la réunion hebdomadaire de coordination animée par le secrétaire général Alexis Kohler, à l’Élysée, lundi : rappeler que le cap a été tenu depuis sept ans, en dépit des multiples crises, et défendre l’identité du macronisme. Toute la majorité est par ailleurs priée d’être pleinement mobilisée durant cette semaine du pont, notamment pour la Fête de l’Europe, le 9 mai.

« Effet canapé »

« J’ai deux ministres qui viennent chez moi le 9. Très bien, mais on va faire quoi ? Les entreprises sont fermées, les commerces… », raille toutefois une figure macroniste. « Je veux bien qu’on donne tout dans un sprint final de quatre semaines. Mais on a déjà tout essayé ! Le bashing anti-RN avec des arguments moraux sur leur esprit munichois, des débats sur toutes les chaînes, un grand discours magistral de deux heures du président. Rien ne marche ! Ça patine et personne n’a encore trouvé la martingale. En attendant, on doit faire semblant d’avoir la pêche. Tout ça sonne faux », gronde un élu Renaissance.

On doit remonter la pente. Notre sujet, c’est de mobiliser 100 % de nos électeurs.Un colistier de Valérie Hayer

D’aucuns estiment que le chef de l’État, dont le discours à la Sorbonne sera décompté comme temps de parole de la campagne par l’Arcom et qui figure au côté de Valérie Hayer sur le tract officiel, ne devrait plus s’impliquer. « Je crois qu’on ne mesure pas l’agressivité qui s’exprime à l’égard de Macron. C’est d’une rare violence. On est sur un volcan. Il faut accepter que le macronisme, qui est dans le coma depuis 2022, est déjà mort. On ne pourra pas le réanimer », glisse un soutien de la première heure d’Emmanuel Macron.

« Sur le terrain, l’accueil est frais, confirme une députée Renaissance. Les électeurs d’Emmanuel Macron ne sont paradoxalement pas mobilisés sur la question la plus structurante de leur identité, l’Europe. Il y a une perte d’envie. » « On doit remonter la pente. Notre sujet, c’est de mobiliser 100 % de nos électeurs. Il y a une sorte d’effet canapé : nos électeurs veulent rester chez eux, ils sont comme en pause amoureuse », résume un cadre de la campagne de Valérie Hayer. Pour tenter de renverser la tendance, Gabriel Attal débattra avec Jordan Bardella le 23 mai.