Iakoutsk, la capitale de la Yakoutie, a accueilli du 22 au 24 mars une conférence internationale sur le changement climatique. Mais la région, où les conséquences du réchauffement sont déjà très visibles, a reçu très peu de représentants étrangers : avec le conflit en Ukraine, même la coopération scientifique sur le climat a été interrompue.
De notre envoyée spéciale,
Une conférence internationale sur le climat, c’était une première pour la Yakoutie, dont la capitale, Iakoutsk, se trouve à près de 5 000 kilomètres et six fuseaux horaires de Moscou. Bordée au nord par l’océan Arctique, avec ses quelque 3 millions de mètres carrés, la région est la plus grande de Russie. Ici, le sol est gelé presque toute l’année et les températures peuvent descendre sous les -50 pendant de longues semaines d’hiver. En cette fin de mois de mars, il faisait encore entre -20 et -15, dans une lumière du printemps amplifiée par la neige et déjà presque aveuglante.
C’est au bout du centre-ville et de ses immeubles en béton que se trouve le très réputé internationalement Institut du Permafrost. Créé en 1960, il accueillait le 3e et dernier jour de la conférence les débats sur l’adaptation au changement climatique. Le lieu avait tout pour être une ruche bourdonnante d’échanges dans toutes les langues. Sauf que les sanctions et la rupture des liens scientifiques sont passées par là.
« Avec les pays européens et les États-Unis, toutes nos expéditions et nos recherches communes se sont arrêtées. Il n’y a aucun projet conjoint cette année, explique ainsi Mikhail Nikolaevich Zheleznyak, directeur de l’Institut. Sans cela, donc, il ne peut pas y avoir de conférence où nous discutons de ses résultats. Cela entrave le développement de la science. C’est très malheureux que cela ait dû arriver et je le répète souvent : cela ralentit non seulement le développement de la science russe, mais aussi la compréhension de tous les phénomènes qui se déroulent sur la planète.
Et cela fait beaucoup de mal non seulement à la Russie, mais aussi à la communauté mondiale, car le problème du changement climatique, le problème de la fonte du permafrost, le problème de la fonte des glaces sont des problèmes mondiaux, et ils doivent être résolutions au niveau mondial »
Les scientifiques étrangers présents sur ces trois jours imposent moins de dix pays : Chine, Kazakhstan… Et encore, les États-Unis n’en comptaient qu’un seul. Egor Kirillin lui aussi se désole. Pour ce zoologiste spécialiste des espèces de l’Arctique, « les animaux n’ont pas de frontières » et leur observation commune est Décisionnelle : « L’observation de la dynamique du changement climatique dans le monde est basée sur l’observation des paysages et du vivant, donc des animaux. L’ours polaire est un habitant de l’Arctique. Quand le climat change, il change son comportement et son mode de vie. Donc quand nous observons que ses habitudes changent, nous savons à 100% que c’est lié au climat ».
Les liens tissés entre les scientifiques, professionnels ou amicaux perdurent encore souvent, mais sans accès au terrain, en un an, les savoirs ont déjà reculé.
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Enjeu principal : le pergélisol
Exemple le plus saillant des enjeux : le pergélisol, la couche gelée qui recouvre environ 70 % du sol du territoire, fond de plus en plus vite. « Ce qu’on appelle pergélisol (ou permafrost), c’est une couche du sol qui est gelée en permanence, pendant trois ans ou plus, décrypte Nikita Tananaev, chercheur à l’Académie des sciences russes à Iakoutsk et chef du laboratoire de recherche sur le climat et les écosystèmes nordiques. Il y a une autre couche au-dessus, qu’on appelle dans notre jargon le « permafrost actif », qui est la partie qui dégèle puis gèle à nouveau en fonction des saisons. Ce qu’il se passe désormais, c’est que cette couche « active », augmente, et cela aux dépens de la couche permanente. La couche permanente de permafrost perd en moyenne entre 3 et 5 centimètres par an ; ce qui est beaucoup, car la couche permanente est de 60 centimètres ».
Les données météorologiques sont surveillées par une centaine de stations météo dans toute la Yakoutie. Comme celle où nous avons pu nous rendre à quelques kilomètres du village de Berdigestyahk. Avec ses allures de petite maisonnette en bois sombre, celle-ci s’ouvre sur un espace clôturé. Pour la rejoindre, un chemin étroit tracé dans la neige. « Faites attention, le chemin est mauvais, prévient Isabella Stepanova, la superviseure de la station météo. Il y a eu énormément de neige cet hiver, jusqu’à 50 centimètres ».
Un pas de trop sur le côté et c’est la chute. On s’enfonce jusqu’aux genoux dans la neige fraîche. Petite silhouette menu dont on aperçoit à peine le visage engoncé dans sa capuche chaude bleu foncé, Isabella, elle, trotte à toute allure. C’est qu’elle connaît le chemin par cœur : un peu plus de 30 ans qu’elle fait les relevés météo ici. Un travail très exigeant : les relevés doivent être faits toutes les trois heures, qu’il pleuve, neige ou vente, même par -50 en hiver. L’essentiel du travail est automatisé depuis un an, mais quand il tombe en panne, il faut à nouveau sortir faire les relevés.
Isabelle Stepanova présente fièrement les outils de mesure comme l’éolienne pour mesurer la vitesse du vent : « Ses capteurs sont à dix mètres du sol. Ils enregistrent les rafales moyennes et les maximales. Ils sont automatiques. Mais cet appareil gèle en hiver, alors nous l’envelopperons avec cette couverture que vous voyez, ici ça peut descendre jusqu’à -60 ».
Mais c’est surtout la hausse des températures, qu’avec son équipe de quatre personnes, la superviseure surveille le plus. À l’intérieur du petit chalet en bois, la voilà qui ouvre ses cahiers de relevé de données, rempli d’une écriture appliquée et détaille : « Prenons cette période qui vient de s’écouler, du 11 au 20 mars. Nous avons une température moyenne de -15,9 degrés. Si on regarde les cinq dernières années, la température moyenne pour cette période est de – 20,07. Si on calcule la différence, nous obtenons une hausse de 4,8 degrés »
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D’immenses inondations
Plus de chaleur, c’est un permafrost qui fond et d’immenses inondations dès le printemps, avec des conséquences très concrètes pour Natalia Vasilyeva, bibliothécaire qui avec son mari élève aussi une quinzaine de chevaux. « Nous avons des terres pour le bétail. Mais l’activité principale de notre famille, c’est l’élevage de chevaux, et on fait aussi du foin pour les bêtes. Chaque année, nous ramassons du foin pour l’hiver. Mais nous avons eu une inondation l’été dernier et on n’a absolument rien pu ramasser, parce que tout, absolument tout était littéralement inondé. C’était impossible de récolter. Alors, nous avons dû acheter du fourrage. On a pu grace aux subventions d’un programme de soutien ».
C’était une première pour Natalia Vasilyeva. À côté d’elle, debout dans ses bottes dans la neige du printemps, son amie Evdovkia Sannikova a déjà subi une autre conséquence de la fonte accélérée du permafrost : « C’est un gros problème et c’est général. De l’eau apparaît sous les maisons, et elles se mettent à s’enfoncer. Tout devient très humide, des champignons domestiques apparaissent. Et nous devons tous à ce moment-là aller nous faire construire une nouvelle maison sur une autre partie de territoire. C’est partout et pour tout le monde. Nous-mêmes, nous devons déménager et faire reconstruire une maison et emprunter. On a réussi grâce à un programme pour les personnes dans le besoin qui propose des prêts de cinq ans sans intérêts. » À quelques mètres de là, les poteaux d’une ligne électrique sont pour certains un peu de guingois. Ils ont été construits sur un terrain plat désormais tout bosselé, la faute là encore à la fonte du pergélisol qui déstabilise les sols.
Face au réchauffement climatique et à la fin de nombreuses coopérations et financements croisés, les autorités russes ont en tout cas décidé une reprise en main. Exemple avec ce projet de loi à la Douma en cours d’examen pour la mise en place d’un réseau de surveillance national du pergélisol. Des plans d’adaptation climatiques régionaux sont aussi en train d’être finalisés.
Une reprise en main qui passe aussi par la mise au pas des ONG : organisations ou militants, les classements « agents de l’étranger » se sont dans ce domaine aussi multipliés. C’était ainsi le cas il y a trois semaines de la branche russe du WWF, « trop politisée », avait déjà dit il ya un mois le représentant spécial du président pour l’environnement. Sergey Ivanov qui avait aussi précisé dans une interview à l’agence Tass : « La Russie, j’en suis absolument certain, est tout à fait capable d’aborder les questions de protection de la nature de manière indépendante, sans aide étrangère et sans recevoir des leçons ».
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